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PARIS SUR CRIMES
3 novembre 2011

Olympia Guilfort (1672)

Affaire des vingt-six têtes (Lady Olympia GUILFORT)  

1672

Rue des Orfèvres

Rue du Plat-d’Etain  

Jardin des Tuileries

Faubourg Saint-Antoine

 

Voici, pour commencer ce périple à travers l’histoire criminelle de Paris, une excellente entrée en matière. Il est question ici de disparitions mystérieuses et de crimes en série particulièrement abjects. Ils se situent à l’apogée du règne du Roi-Soleil, à un moment crucial de l’histoire de l’administration policière. C’est, en effet en 1667, deux ans après le scandale suscité par le meurtre sordide du Lieutenant Criminel de Paris Jacques Tardieu et de sa femme, perpétré à leur propre domicile par deux petits malfrats, que Louis XIV entreprend de restaurer la sécurité publique en créant le poste de Lieutenant Général, ancêtre du préfet de police.

Le tout premier d’entre eux et aussi le plus célèbre, Gabriel Nicolas de La Reynie est  en poste depuis cinq ans quand une série de faits étranges commence à retenir son attention : depuis quelques mois, de riches jeunes gens, tous issus de bonne famille, et dont les âges vont de dix-sept à vingt-cinq ans, se sont subitement volatilisés. On en compte déjà une vingtaine. Les Parisiens, terrorisés, se barricadent chez eux et n’osent plus s’aventurer dans les rues la nuit tombée. Les rumeurs les plus folles commencent à circuler. On parle d’une princesse qui prendrait des bains de sang en guise de cures de jouvence ; certains pensent à des pourvoyeurs de colons à destination des Amériques, et enfin, on soupçonne des juifs, dont les rites religieux passent pour exiger du sang chrétien. Des prêtres doivent même intervenir pour éviter des massacres. Le climat dans la capitale est tel que le roi, lui aussi, commence à s’en inquiéter. Il n’a pas réformé la police pour que Paris redevienne à nouveau le coupe-gorge qu’il était aux temps de Louis XIII et de la Fronde.

La Reynie met sans plus attendre ses indicateurs sur la piste des meurtriers. De la rue de la Grande-Truanderie à la rue Montorgueil, en passant par le quartier du faubourg Saint-Antoine, des auxiliaires déguisés en mendiants ou en voleurs s’introduisent dans les quartiers sombres et mal famés de la capitale. Des aubergistes sont interrogés, des prostituées sont suspectées. En vain. Cette première initiative est un fiasco.

Changeant de méthode,La Reynie charge alors son meilleur exempt, un certain Lecoq, de poursuivre l’enquête. Et celui-ci a une idée : il est persuadé que des embuscades « galantes » ont été tendues aux victimes car la plupart d’entre elles ont été vues pour la dernière fois dans des lieux de promenade à la mode. Il convainc alors son propre fils, Exupère, qui est plutôt joli garçon, de jouer le rôle de la chèvre dans la chasse aux lions. Déguisé en jeune bourgeois aisé, celui-ci ne tarde pas, au cours de ses déambulations quotidiennes dans  le jardin  des Tuileries, à attirer l’attention.

Quatre jours passent. Le cinquième, il croise dans le jardin des Tuileries, une jeune femme d’environ vingt-cinq ans suivie d’une gouvernante. Échange de regards, effets de dentelle… Elle le dévisage, lui sourit, mais ne se compromet pas, comme le veulent les bonnes manières, en lui adressant la parole. Le lendemain, alors qu’il est assis sur un banc, Exupère voit pourtant la gouvernante s’approcher. Rapidement, une conversation s’engage. Le jeune homme se présente d’abord comme le fils d’un riche gentilhomme périgourdin. Il est à Paris pour régler quelque affaire qui doit lui rapporter, dit-il, beaucoup d’argent. La vieille femme lui apprend que sa maîtresse est la fille d’une marchande de la rue Saint-Denis qui fut jadis engrossée par un comte polonais, le comte Jabirowski. Celui-ci avait fait le pari stupide de séduire la première femme qu’il rencontrerait en arrivant à Paris. Il avait ensuite appris la naissance de sa fille, et, revenu à de plus nobles sentiments, s’était décidé à partir sur le champ solliciter du roi de Pologne l’autorisation d’épouser la mère et d’adopter le bébé. Malheureusement, il n’arriva jamais à destination car il fut assassiné en route par des brigands. Le roi de Pologne, informé, fut ému par une si poignante histoire et déclara la petite fille héritière de tous les biens de son père. Entre-temps, la mère mourut et on recueillit l’enfant qui fut élevée dans l’ignorance de sa triste origine par les meilleurs précepteurs de Cracovie. À sa majorité, le roi lui-même lui révéla la vérité et la pauvre petite orpheline devenue riche comtesse polonaise émit le vœu de venir se recueillir sur la tombe de sa mère. Elle n’était à Paris que depuis six mois et avait choisi de rester.

Edifiante et romanesque histoire que n’aurait pas renié Alexandre Dumas mais qui laisse toutefois Exupère quelque peu sceptique. Flairant une piste, il accepte avec empressement la proposition de la servante de la rejoindre le soir même sous le porche central de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. De là, elle le conduira à sa maîtresse.

En effet, à minuit, la vieille femme, mystérieusement encapuchonnée, est au rendez-vous fixé. Elle lui fait signe de la suivre. Ils s’engagent alors dans un parcours compliqué à travers des ruelles sombres, ce qui a pour effet d’accroître progressivement la méfiance d’Exupère En effet, celui-ci a de plus en plus le sentiment que son guide cherche à lui faire perdre sa route. Heureusement, il a pu, dans l‘après-midi, prévenir son père et lui faire part de ses soupçons. Celui-ci, acommpagné de policiers, le file d’ailleurs à distance raisonnable lorsqu’il le voit s’engouffrer à la suite de la domestique dans une maison d’assez bel aspect situé rue des Orfèvres. Lecoq pressent le pire et ordonne à ses hommes d’encercler la batisse.

L’officier de police ne sait pas encore à quel point ses craintes sont justifiées. Car en réalité, la pseudo-princesse n’est autre que « Lady » Olympia Guilfort, une aventurière anglaise aux origines troubles qui a ses entrées dans la haute société parisienne et dont les crimes vont bientôt défrayer la chronique. Personne à cette époque ne se doute des activités monstrueuses de cette barbe-bleue au féminin. Personne aussi ne peut imaginer à quel trafic terrifiant elle se livre avec ses proies, qu’elle attire toujours, méthodiquement, de la même manière. Car la prétendue comtesse n’est pas sans charme. Et l’on peut lui reconnaître l’honnêteté de ne pas en avoir été avare dans la conduite de ses affaires : elle donne toujours la nuit d’amour qu’on attend d’elle avant de lâcher ses quatre tueurs. Elle dépouille ensuite les cadavres qu’elle revend discrètement et fort cher à des maîtres de dissection. Les têtes, quant à elle, bénéficient d’un traitement de faveur : elles sont tout d’abord embaumées puis conservées. Elles doivent plus tard prendre le chemin de l’Allemagne pour servir à des expériences anatomiques d’un type nouveau. En effet, certains médecins commencent à prétendre qu’il est possible de définir le caractère des êtres humains d’après l’aspect externe de leurs crânes. Ils jettent ainsi, avec plus d’un siècle d’avance, les bases de ce que l’on appellera la phrénologie.

Alors que Lecoq attend le signal convenu de son fils, celui-ci, quelque peu oublieux de sa mission, s’est  laissé séduire par la jolie comtesse qui lui prodigue, il est vrai, des soins très attentifs. Les tueurs embusqués dans une pièce voisine sont déjà prêts à passer à l’action. L’opération manque ainsi de tourner au drame pour Exupère qui ne doit son salut qu’à l’intervention in extremis de son père et de ses adjoints. Ceux-ci, après avoir enfoncé la porte d’entrée, se sont rués dans l’escalier et sont tombés nez à nez sur les bandits qui, l’instant de stupeur passé, se sont décidés à vendre chèrement leur peau. Une mêlée s’est engagée mais elle a rapidement tourné en faveur des policiers. Profitant de la confusion, Lady Guilfort a bien tenté de s’échapper par une porte dérobée mais s’est bêtement faite cueillir par un garde alors qu’elle atteignait déjà la rue. La maison a encore raisonné de quelques cris, quelques bruits sourds se sont encore fait entendre, puis plus rien.

La sombre équipe mise hors d’état de nuire, les lieux sont fouillés de fond en comble. Et, caché derrière un paravent, l’on découvre bientôt dans une profonde armoire vingt-six têtes reposant sur des plats en argent, parfaitement conservées et prêtes à l’emploi.

Lady Guilfort est promptement envoyée à la Bastille. Ses complices sont également emprisonnés, jugés puis pendus. Quant à la belle, elle réussira à s’évader de sa cellule grâce à la complicité de personnalités dela  Cour.

On la retrouve ensuite rue du Plat-d’Etain, où elle reconstitue une nouvelle bande, qu’elle consacre aux cambriolages, activité nettement plus discrète et moins risquée. Repérée, elle réussit de nouveau à s’enfuir. Mais par-delà la Manche, cette fois-ci. À partir de là, on perd sa trace, même si quelques chroniques rapportent l’apparition, dans la bonne société de Londres, d’une mystérieuse comtesse polonaise.

Au même moment, commencent également à courir, ça et là, de loin en loin, des rumeurs de disparitions inexpliquées. Étrangement, elles concernent toutes des jeunes gens de bonne famille…

 

 

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