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PARIS SUR CRIMES
4 novembre 2011

Le joli petit monstre (1676)

 La marquise de BRINVILLIERS 

1676

12, rue Charles V

Hôtel-Dieu

5, rue Hautefeuille (Hôtel des abbés de Fécamps) (6ème arrdt.)

4, Impasse Maubert (5ème arrdt.)

 

« Au début des temps, nous disent les Ecritures, Eve se laissa la première convaincre par le serpent. Elle prit la pomme et, par charme et séduction,  entreprit de persuader Adam de la partager avec elle. Celui-ci tenta de la raisonner mollement, pour le principe, puis, comme il était gourmand et pas très malin, il accepta. Depuis ce jour fatal, l’opinion s’est répandue que l’homme, en général, est une sorte de grand nigaud bourré de défauts, mais au fond, pas foncièrement mauvais, alors que la femme, alliée du démon depuis l’origine, a pour vice principal celui d’aimer corrompre son compagnon par ses propos venimeux. Après plus de deux mille ans à rabâcher les mêmes histoires, il n’est pas étonnant que l’image de la femme ait souffert de cette tenace réputation de perfidie. Aussi dans notre culture, si l’homme a des défauts, la femme apparaît éminemment corruptrice. Sa faiblesse physique la prédispose à la ruse, la dissimulation et le calcul. Cela fait d’elle une potentielle meurtrière par préméditation, qui accomplit ses crimes sous le masque de l’innocence, de l’amour et même parfois de la charité. La duplicité fait partie de sa nature.  C’est cela qui fascine dans les portraits de femmes criminelles. »

La douce marquise de Brinvilliers, le « joli petit monstre » qui amusait tant Mme de Sévigné est un parfait exemple de ce stéréotype de « la femme venimeuse » décrit ici par Alain Monestier. En assassinant son père, ses deux frères, sa sœur et nombre de malades de l’Hôtel-Dieu, la Brinvilliers horrifia ses contemporains. La découverte de ses activités marqua le début de l’affaire des Poisons.

 

Marie-Madeleine d’Aubray, marquise de Brinvilliers naît le 2 juillet 1630. Son père, Antoine Dreux d’Aubray est un haut magistrat austère et pointilleux sur le chapitre de la morale. Conseiller d’Etat, maître des requêtes, lieutenant civil de la ville de Paris, il est le premier officier de police de la capitale. Adolescente, la marquise est plutôt gracieuse, même assez jolie, avec de grands yeux bleus. Elle a une sœur et deux frères avec qui, dira t- elle à son procès, elle a des rapports incestueux - elle prétendra  avoir perdu sa virginité dès l’âge de sept ans. A l’âge de vingt-et-un an, elle épouse un jeune capitaine du régiment de Normandie. Issu d’une riche famille, Antoine Gobelin est ce qu’on appelle un honnête homme, sans grand caractère, mais il est dévoré par la passion du jeu. Très vite, la marquise délaissée collectionne les amants, et finit par s’éprendre d’un nommé Godin, soi-disant ancien officier de cavalerie mais surtout homme sans scrupule et dévoyé qui se fait pompeusement appeler Sainte-Croix - Son domicile, encore visible aujourd’hui, se situait dans la tourelle de l’hôtel des abbés de Fécamps, 5, rue Hautefeuille, dans le 6ème Arrdt. Naît alors un couple à trois. Cette situation semble satisfaire tout le monde sauf le père de l’épouse infidèle qui s’empresse, par lettre de cachet, de faire « embastiller » l’amant. Pendant son séjour au cachot, Sainte-Croix se lie d’amitié avec un détenu, un certain Eggidio Exili, qui a la réputation d’être « artiste en poison ». Il lui  soutire quelques formules, et six semaines plus tard, revient prendre sa place dans le lit de la marquise. Peu après sa libération, il fait également la connaissance  d’un chimiste suisse très réputé à l’époque, Christophe Glaser. Futur apothicaire attitré du roi et du duc d’Orléans, celui-ci donne alors devant un auditoire particulièrement attentif des cours publics au laboratoire du « Jardin des Plantes ». Ce n’est donc pas un plaisantin. On lui doit notamment la découverte du sulfate de potassium, du chlorure d’arsenic et la rédaction d’un volumineux Traité de la Chymie, considéré comme une référence dans l’histoire de cette science. Glaser s’est également penché sur la préparation  de poisons très élaborés. On prétend même que, vers 1655, il a été envoyé en Italie par le surintendant Fouquet pour en rapporter des végétaux très toxiques destinées à « l’accomplissement d’un grand dessein ».

 Élève assidu, Sainte-Croix, qui voue, depuis son incarcération une haine implacable au conseiller d’Aubray, profite pleinement des leçons de son maître. Dans le laboratoire qu’il vient d’installer 4, impasse d’Amboise* (impasse Maubert), Sainte-Croix se fait fort de se lancer dans la fabrication de divers remèdes et poisons dont il ne tarde pas à  faire son commerce. La clientèle, en effet, ne manque pas.

La marquise, pendant ce temps, s’est progressivement enfoncée dans la ruine et le déshonneur. Elle boit comme un trou, perd au jeu des sommes considérables et, poursuivie par les créanciers, se voit bientôt contrainte de vendre la plupart de ses propriétés. Prend alors forme dans son esprit l’idée criminelle la plus abominable qui soit : empoisonner son père afin de recueillir sa succession.

Mise « au parfum » par son amant, lui-même trop heureux de se venger, la marquise, en bonne élève, fait, de rapides progrès dans l’art de confectionner des produits toxiques. Elle n’hésite pas à mettre bientôt ses connaissances en pratique en expérimentant ses potions, d’abord sur des animaux, puis sur des malades de l’hôtel-Dieu. Plusieurs dizaines meurent ainsi dans des  souffrances atroces sans que personne, bizarrement, ne fasse le rapprochement avec les visites  de cette femme si charitable et si dévouée. Enfin prête, elle décide, à l’hiver 1665, de s’atteler méthodiquement à la tâche de faire passer son père de vie à trépas. Pour cela, elle engage un certain Gascon qu’elle place comme domestique auprès du marquis. Ce véritable tueur à gages sera chargé d’administrer au lieutenant civil, du poison en petites quantités pour que sa mort puisse paraître la plus naturelle possible. L’agonie du marquis d’Aubray durera sept mois. Au début du mois de septembre 1666, Antoine Dreux d’Aubray, au plus mal, est rapatrié d’urgence de son château d’Offémont, en Franche-Comté, à Paris. À son chevet, sa fille se montre particulièrement affectueuse et prévenante. Par la même occasion, elle lui administre le coup de grâce en mêlant du poison à son bouillon de viande. Le malade, pris de douleurs atroces et d’horribles vomissements, finit par rendre l’âme le 10 septembre, à l’age de soixante-six ans.

Ce produit « miracle » ayant fait ses preuves, la marquise, avec l’aide de son propre laquais nommé La Chaussée, supprime son frère aîné en 1670. Puis c’est le tour de son frère cadet sept mois plus tard. Jusque-là, elle a tué par intérêt ou par vengeance, elle se met à assassiner par plaisir, pour l’amour de l’art. Elle tente ensuite mais vainement d’empoisonner sa sœur, religieuse chez les Carmélites à Paris, puis sa fille qu’elle trouve idiote. Enfin, ayant décidé d’épouser Sainte-Croix, elle décide de se défaire de son mari. Malheureusement pour elle, Sainte-Croix s’est lié d’amitié avec le marquis de Brinvilliers dont il apprécie la complaisance. De plus, il n’a aucune envie de se lier avec une femme qu’il trouve de plus en plus dangereuse. Il s’empresse alors de désempoisonner le mari en lui administrant un contre-poison puissant qui le sauve in extremis. La marquise lui fait immédiatement ingurgiter une nouvelle potion mais Sainte-Croix le sauve de nouveau. Ce petit jeu va durer deux ans, pendant lesquels le pauvre marquis sera ainsi ballotté de poisons en contre-poisons. Craignant également pour sa vie, l’amant fait enfermer dans un coffret plusieurs lettres d’amour de la marquise, des fioles de poison et une lettre relatant par le détail tous les crimes qu’ils ont commis ensemble. On est jamais trop prudent.

Le 30 juillet 1672, alors qu’il travaille dans son laboratoire, Sainte-Croix s’effondre brusquement, probablement intoxiqué par les vapeurs mortelles qui émanent de ses préparations. Alertée, la police trouve l’infortuné amant, gisant sur le sol, on ne peut plus mort. Des scellés sont apposés et on met la main sur les fameuses lettres. Pourtant, quand les policiers débarquent au domicile de la marquise, 12, rue Charles-V, l’oiseau s’est déjà envolé vers l’Angleterre. Faute de mieux, on se rabat sur son valet, La Chaussée. Il est écartelé en place de Grève, le 24 mars 1673. Quant à la Brinvilliers, elle est condamnée à mort par contumace.

On la repère bientôt à Liège, où elle finit par être arrêtée trois ans plus tard par le lieutenant Desgrais, bras droit de La Reynie, dans le couvent où elle a trouvé refuge. À Paris, On l’enferme à la Conciergerie en attendant d’organiser son procès qui se déroule du 29 avril au 16 juillet 1676. Vingt-deux audiences présidées par Lamoignon, sont nécessaires pour entendre tous les témoins. Pendant les débats, de nombreuses personnalités de la Cour sont mises en cause, et un vent de panique se met à souffler dans la haute société parisienne. De discrètes pressions se font également sentir sur certains membres du tribunal, mais c’est sans compter sur l’insistance de Louis XIV qui est bien décidé à faire un exemple. La Brinvilliers paiera pour les autres.

Le 16 juillet 1676, la marquise est condamnée à avoir la tête tranchée - en sa qualité de noble - et à être brûlée en place de Grève. Ce qui sera fait dès le lendemain. L’affaire des Poisons ne fait que commencer.

 

*On empoisonne apparemment beaucoup au 4 impasse Maubert. Au milieu du 18ème siècle, on découvre à cette adresse les corps de trois femmes, mortes empoisonnées par les gaz de produits toxiques qu’elles fabriquaient et commercialisaient.

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