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PARIS SUR CRIMES

30 novembre 2011

Cuisine et dépendance (1387)

Les petits pâtés de la rue des Marmousets

1387

Hôtel-Dieu
12, Rue Chanoinesse

 

 


« … et de la chair d’icelui faisait des pastez qui se trouvaient meilleurs que les aultres, d’autant que la chair d’homme est plus délicate, à cause de la nourriture, que celle des aultres animaux. »

 Cet extrait d’une chronique écrite au début du 17ème siècle par un certain Du Breul, Prieur de Saint-Germain-des-Prés, se rapporte à des actes particulièrement monstrueux survenus en plein cœur de Paris, sur l’Île de la Cité en 1387. Il s’agit ici ni plus ni moins d’anthropophagie. Ces faits ne sont cependant pas clairement authentifiés car les documents relatifs à cette affaire ont depuis longtemps disparu. Une grande partie des archives criminelles de la capitale s’est volatilisée dans les incendies de la Commune de Paris en 1871, au grand désespoir des chercheurs qui n’ont souvent, dans le cadre de leurs travaux, que des documents de seconde main à se mettre, si l’on peut dire, sous la dent. Il doit toutefois y exister un fond de vérité, car l’emplacement exact où se sont déroulés ces crimes est resté, pendant plus d’un siècle, dépourvu de toute construction habitable - au Moyen Age, les maisons des criminels sont systématiquement rasées - et une petite pyramide expiatoire s'y élevait jusqu'en 1536. La rue des Marmousets* a également disparu lors de la destruction, en 1878, de l’ancien Hôtel-Dieu. Son tracé se situait dans le prolongement de la rue Chanoinesse, entre la rue d’Arcole et la rue de la Cité. Il longeait le cloître Notre-Dame, véritable ville dans la ville où vivaient alors les chanoines de la cathédrale.

 La fin du 14ème siècle est, pour Paris comme pour le pays tout entier, une période dramatiquement sombre. La famine de 1315-1317, la peste de 1348-1349, puis, enfin, la guerre de Cent Ans, ont durement éprouvé la population parisienne et fait de la capitale un foyer d’agitation et d’insécurité. Ce sont des temps incertains où misère, superstitions et violences quotidiennes se mêlent volontiers pour créer des monstres aux comportements déviants. L’Histoire regorge de ces moments troubles où se déchaînent les pires instincts, où les valeurs morales sont, sinon inversées en tout cas inexistantes. Ce sont des temps propices aux actes horribles et bestiaux. Dès le début du Moyen Age, des chroniques rapportent, par exemple, les méfaits du roi Bayan de Bulgarie qui dévorait des enfants et qui finit lui-même par périr déchiqueté par des chiens. Il y a aussi ce paysan allemand, Strumpf, exécuté à Cologne en 1589 pour avoir mangé treize adolescents dont son propre fils ; et ce couturier de Chalon, Obendorf, brûlé en 1598 après avoir dévoré plusieurs enfants, de préférence rôtis ou bouillis. Toutes les villes, grandes ou petites ont eu un jour ou l’autre leurs lots d’abominations, leurs ogres guettant dans l’ombre leurs victimes anonymes. Et Paris n’échappe pas  à cette liste  noire.

Dubreul, donc, raconte comment deux commerçants mitoyens de la rue des Marmousets, un barbier et un pâtissier, ont, pendant des semaines, égorgé, dépouillé et reconverti les cadavres de leurs victimes en petits pâtés en croûte, au grand dam de leurs voisins et  clients. L’histoire n’a pas retenu leurs noms, mais on sait qu’ils jouissaient tous deux d’une excellente réputation. Le barbier était connu pour son coup de main d’une rare douceur et le pâtissier était considéré comme l’un des meilleurs de la ville. En ce qui concerne leur industrie diabolique, leur technique d’exécution était d’une redoutable simplicité. Il est vrai qu’elle était grandement facilitée par le fait qu’ils possédaient une cave en commun. La mission du barbier consistait à installer son client sur un tabouret posé au-dessus d’une trappe, à lui porter, par derrière et au moment opportun, un vigoureux coup de rasoir à la gorge, à lui faire rapidement les poches, puis à faire basculer le malheureux dans la cave par la fameuse trappe. Là, le pâtissier, si besoin était, finissait d’achever le mourant, le dépouillait de tous ces vêtements et s’attelait à la tâche de dépecer le cadavre. Les morceaux étaient ensuite hachés pour servir de farce dans la préparation de petits pâtés en croûte, les meilleurs de Paris, précise la chronique. Prévoyants et bien organisés, les deux complices ne s’attaquaient qu’à des étrangers de passage, étudiants pour la plupart, qui n’avaient donc ni familles ni amis pour s’inquiéter de leur disparition. Précisons également qu’à cette époque, les forces de police étaient quasi inexistantes, mis à part quelques milices privées.

Ce n’est que le hasard qui permit de mettre fin aux activités des deux partenaires : Un chien, dont le maître, un étudiant allemand, avait sûrement  dû servir de farce après avoir été rasé de trop près, vint se poster plusieurs jours durant devant l’échoppe du barbier en hurlant à la mort, alertant à la fin une patrouille d'archer qui passait par là. Les gens d'armes tentèrent d'attraper l'animal mais ce dernier plongea dans un soupirail menant directement à la cave des deux complices. Découverts en plein travail, ceux-ci avouèrent la réalité de leur petite affaire et furent brûlés peu après en place de Grève le jour même de la sentence, chacun dans une cage de fer, et devant, on l’imagine, une foule nombreuse et horrifiée.
On n’entendit plus jamais parler d’anthropophagie à Paris. Du moins jusqu’à la fin du 20ème siècle. En 1981, on découvrit dans le réfrigérateur d’un étudiant japonais, un certain Issei Sagawa, les restes déjà bien entamés de son amie hollandaise. Celle-ci s’était refusée à lui, il l’avait donc mangée. Et cela, en plein 16ème arrondissement. Mais ceci est une autre histoire.

Quant aux clients trompés du pâtissier de la rue des Marmousets, la chronique ne précise pas s’ils sont brusquement devenus végétariens…

*La rue des Marmousets ne portait autrefois ce nom que jusqu'à la rue de la Licorne ; le bout donnant dans la rue de la Cité faisait partie de la rue des Oublieurs. On lit, à propos de cette rue dans un traité de la police, qu'au commencement du règne de Louis XIV cette rue était tellement fangeuse que l'air en était infecté.

Note : Cette affaire eut des répercussions quelque peu innatendues dont il est fait mention dans plusieurs chroniques.  La légende rapporte que de nombreux moines des couvents alentours, honteusement portés sur la " bonne chair "  furent jugés coupables involontaires de cannibalisme et condamnés à se rendre à Rome pour implorer le pardon du pape, seul habilité à absoudre un pêché aussi grave. Ils se mirent donc en route mais ne dépassèrent jamais... l'actuel carrefour des Gobelins, au bord de la Bièvre, où se trouvaient à l'époque quelques auberges réputées pour leur bon vin. Ayant rapidement éclusé leur pécule ainsi que leurs pieuses résolutions, ils s'installèrent là, vivant de peu et de menus trafics plus ou moins avouables.
Un beau jour, l'évêque de Paris, Jean de Meulan, qui passait à proximité de cette zone de non-droit fut pris à partie par des brigands. Les moines-mendiants arrivèrent à la rescousse et lui sauvèrent la vie. En récompense, l'évêque leur donna la permission de vendre en ce lieu " toutes marchandises dont on n'aurait pas à chercher l'origine ". Ainsi naquit le marché Mouffetard qui existe encore aujourd'hui.

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10 novembre 2011

Troppman (1869)

Jean-Baptiste TROPPMANN  

1869

12, boulevard de Denain (Hôtel du Chemin de Fer du Nord)

 

 

« Presque tous les gens s’imaginent à tort qu’un assassin est différent d’un homme ordinaire. On le décrit trop souvent en termes excessifs, tels que « monstre anormal » ou « brute insensée ». Des idées aussi mélodramatiques sont bien loin de la vérité. En fait un assassin est un être normal, qui possède simplement le courage nécessaire pour mettre en pratique ce vieil adage : Chacun pour soi ». (Arthur Williams)

Pour les journaux populaires du 19ème siècle, et principalement les lecteurs des « canards » sanglants, l’assassin « fou » est, en effet, un homme hanté de mauvais démons, de forces mystérieuses qui le poussent inexorablement vers le mal. Il est ce qu’on appelle un « monstre », une sorte de passeur vers l’enfer. Dans le Banquet, Platon donne une définition qui rend bien compte de ce que les « monstres » représentent dans l’esprit de ceux qu’ils fascinent : « Le monstre est, dit-il, à mi-chemin entre les hommes et les dieux ». Il est donc significatif que, de tout temps, l’attention se soit focalisée sur ces êtres surnaturels avec une telle intensité et que leurs crimes les aient fait entrer dans la légende. Ainsi en est-il de Troppmann dont l’affaire fut l’une des plus sinistres des annales criminelles françaises du 19ème siècle et qui bâtit, sous le second Empire agonisant, en proie à la contestation républicaine et aux émeutes ouvrières, tous les records de popularité.

 Le lundi 20 septembre 1869, vers cinq heure du matin, un certain Langlois, cultivateur de la Villette, se rendant à son travail, découvre dans le champ de luzerne qu’il exploite dans la plaine de Pantin, aux environs de l’actuel carrefour des Quatre-Chemins, des traînées de sang mêlées à des débris de cervelle. Il donne un ou deux coups de pioches dans un monticule fraîchement remué et met à jour une tête d’enfant. Il court, aussi vite que ses jambes le permettent, au commissariat de Pantin.

Les policiers, revenus sur les lieux en sa compagnie, découvrent rapidement six cadavres : une femme d’environ trente-cinq ans, vêtue d’une robe de soie, et cinq enfants dont un de cinq ou six ans et une fillette de quatre ans, sommairement enfouis sous une mince couche de terre. Ils ont été tués à coup de couteau, étranglés ou assommés. Les plus jeunes ont été égorgés et éventrés à coup de pioche. L’assassin a longuement piétiné leurs tombes pour tasser la terre. La mère a reçu une trentaine de coups de couteau. Détail sordide : elle  était enceinte de six mois.

L’enquête s’ouvre alors dans l’émotion générale. Dès l’annonce du massacre, d’une ampleur et d’une sauvagerie véritablement hors du commun, le public se passionne pour l’affaire. Les journaux de toutes tendances se mettent de la partie. On ne parle plus que du crime de Pantin. Le tirage du Petit Journal passe de 350 000 à 470 000 exemplaires pendant toute la durée de l’affaire, chiffre record pour l’époque. Le champ du maraîcher Langlois devient un lieu de promenade pour les Parisiens et les ouvriers des faubourgs qui se précipitent tous les dimanches, en omnibus, à cheval et à pied pour visiter le lieu maudit. Des marchands ambulants y vendent de la limonade et des dépliants intitulés « Photographies du champ Langlois », montrant le dessin de la fosse où ont été découvertes les victimes, ainsi que leurs portraits défigurés.

 Très vite, l’enquête commence à donner des résultats. Les victimes sont identifiées : il s’agit d’une certaine Hortense-Juliette Kinck et de ses cinq enfants. Un sixième, l’aîné, a disparu. Le mari, Jean Kinck, un jeune mécanicien qui réside à l’hôtel du Chemin de Fer du Nord - aujourd’hui hôtel Terminus Nord - , 12, boulevard de Denain, n’a pas reparu non plus à son domicile depuis le 19 septembre. Ce même jour, à la barrière de Pantin, a été également aperçu, roulant vers la banlieue déserte, un fiacre avec sept personnes à son bord. Une heure plus tard, la voiture a été de nouveau remarquée, en sens inverse, vide.

Le cocher est rapidement retrouvé. Il confirme avoir chargé sept clients et les avoir déposés, en pleine nuit, au lieu-dit du Chemin-Vert, à Pantin, après avoir longé la route de Flandre - rue de Flandre - , la rue Magenta et la rue Davoust. Étrange et lugubre parcours vers un non-lieu situé au delà des barrières de la ville et totalement livré à la nuit. À l’époque, en effet, ces rues ne sont encore que des chemins bourbeux peu fréquentés, sans éclairage, mal entretenus, se perdant dans la campagne, au milieu des champs et des potagers. La présence d’une famille bourgeoise au grand complet dans un tel lieu et à une heure si tardive ne peut paraître qu’incongrue à un cocher, pourtant habitué aux courses les plus extravagantes.
Au Chemin-Vert, le jeune homme est d’abord descendu en compagnie de Mme Kinck, de sa petite fille et du plus jeune des garçons, laissant les trois autres dans le fiacre en leur recommandant de rester sage. Ils se sont ensuite éloignés dans l’obscurité. Une demi-heure plus tard, le jeune homme est revenu, seul. Apparemment pressé, il a réveillé les enfants qui s’étaient endormis, les a fait descendre, a payé, puis renvoyé le cocher. Ce dernier se souvient également de la discussion qu’il a eue avec les trois enfants restés dans la voiture pendant cette étrange et irréelle attente dans la nuit. Le plus âgé lui aurait dit qu’il ne savait pas où était leur père venu à Paris depuis Roubaix, que leur ami Troppmann le savait et qu’il était allé le chercher avec sa maman.

On retrouve également, sur la jeune femme assassinée, une photographie représentant le portrait d’un homme. On la montre à l’hôtelier de la gare du Nord, il reconnaît son client, Jean Kinck. On la présente également au cocher qui l’identifie comme étant son mystérieux passager nommé Troppmann. Pour la police, il ya donc un problème. Soit le père est coupable, soit ce fameux Troppmann a usurpé son identité et s’est fait enregistrer à l’hôtel sous son nom. Toutefois, l’hôtelier, fouillant dans ses souvenirs, croit pouvoir affirmer que le 19, en quittant l’hôtel, le prétendu Jean Kinck lui a parlé du Havre. C’est ici que la chance va incroyablement jouer en faveur des policiers.

 Le matin du 21 septembre, au Havre, un clochard, indicateur de la police à ses heures, nommé Edouard Dourson, dit le Tortillard à cause d’une jambe boiteuse, avise un flâneur d’aspect étrange qui suit avec envie le mouvement des navires. Il s’approche, lie conversation avec l’individu qui se confie volontiers. Celui-ci prétend se nommer Fisch et exercer le métier de mécanicien à Bâle. Il doit rejoindre un oncle millionnaire en Amérique, mais il n’a pas de papiers en règle pour s’embarquer. Aussi, demande-t-il à son nouveau compagnon de lui procurer un faux passeport moyennant cinquante francs. Tortillard accepte tout en flairant la prime que lui rapporterait la dénonciation de ce singulier individu. Pendant deux jours, berçant de promesses le candidat émigrant, il erre avec lui dans les rues du port.
Le 23, un brigadier bien informé pénètre dans un des cabarets de dockers de la rue Royale, et entreprend de contrôler les identités des consommateurs. Tous sont en règle, sauf un qui balbutie quelques vagues explications. Il est aussitôt invité à venir s’expliquer au commissariat. L’inconnu, apparemment résigné, fait mine de suivre le gendarme, mais en passant sur le quai, il s’échappe brusquement, se met à courir et plonge dans le bassin du Commerce. Un ouvrier nommé Hanguel a vu la scène, saute à son tour à l’eau, empoigne le garçon et le ramène à quai, évanoui. Au poste, on découvre sur lui, outre un billet de voyage sur un paquebot qui doit quitter le Havre le lendemain pour l’Amérique, des documents libellés au nom de Jean Kinck.. Les policiers n’en doutent pas une seconde : c’est lui. C’est le meurtrier de Pantin.

 À noter ici, à titre savoureux, la version hautement fantaisiste de l’arrestation qu’écrira (ou fera écrire) dans ses Mémoires le très imaginatif et peu modeste chef de la Sûreté Impériale, Auguste Claude : « Comment parvins-je à saisir l’individu au Havre ? Qui me guida, sur de faibles indices, vers ce port de mer ?…Ce qui me plaça sur sa piste, ce furent moins les vagues indices de mes agents que mes qualités natives, secondées par le hasard. Aujourd’hui encore, je ne m’explique pas plus ce qui m’a placé sur sa voie qu’on ne s’explique le flair du chien de chasse courant, à plein bois, sur la bête fauve… » Ou encore : « Une piste m’attirait, je la suivais. Sur le théâtre de mes exploits, mon rôle de policier me possédait comme le scélérat que j’avais à poursuivre ; je ne m’appartenais plus ; il fallait que le malfaiteur m’appartînt ! ». En fait, Claude n’arrivera au Havre que le lendemain et n’aura exactement joué aucun rôle dans une découverte sensationnelle qu’il n’avait ni organisée, ni prévue, et encore moins effectuée.

La nouvelle de l’arrestation s’est aussitôt répandue à travers tout le pays. Le 25 septembre, Troppmann, que tout le monde croit encore être Jean Kinck, est transféré du Havre à Paris, sous l’escorte du  chef de la Sûreté et de deux inspecteurs. Gare Saint-Lazare, il ne peut être question de le faire sortir par les issues normales : plus de dix mille personnes sont prêtes à se jeter sur lui. Il quitte la gare par une porte dérobée, rue de Rome, où deux fiacres attendent, stores baissés. Direction : La Morgue. Confronté aux corps de Mme Kinck et de ses enfants, qu’il considère avec sang-froid et qu’il avoue cependant reconnaître, il finit par donner sa véritable identité, tout en affirmant… ne pas être l’auteur des meurtres, mais plutôt leur témoin complice. « Moi, je ne suis pas Jean Kinck. Je suis Troppmann. C’est Gustave Kinck, le fils aîné, et Jean Kinck qui les ont tués. Moi, je n’ai fait que les tenir », explique t-il aux inspecteurs de Monsieur Claude.

 Troppmann ! En quelques heures, ce nom va devenir célèbre, terriblement célèbre.

 Jean-Baptiste Troppmann naît le 5 octobre 1849 à Brunstadt, en Alsace. À vingt ans, il est d’allure plutôt chétive et assez mal bâti : des bras trop longs, des oreilles décollées, et surtout, des mains énormes, « des mains d’étrangleur », dira stupidement Claude, toujours prêt à en rajouter, avec  « deux pouces  monstrueusement » écartés ». C’est un garçon rêveur, taciturne et renfermé qui se passionne par la lecture d’ Eugène Sue et qui est hanté par le désir de faire fortune en Amérique. Il est issu d’une famille relativement aisée que le père Troppmann, mécanicien, a finie par ruiner au fil de ses inventions décevantes. Jean-Baptiste Troppmann accepte d’apprendre le métier de mécanicien par résignation, mais s’évade rapidement en voyageant à travers le pays. Il supporte mal de voir son père, inventeur et ouvrier honnête, se faire gruger et déposséder de ses découvertes par des affairistes sans scrupule. Révolté par la misère ouvrière dont il est témoin au cours de ses pérégrinations, il voue à la société bourgeoise une haine quasi obsessionnelle. Désormais, entre le monde des possédants et lui, c’est l’état de guerre.

 En août 1869, Il décide alors de s’attaquer à celui-ci en la personne d’un mécanicien aisé de Roubaix, Jean Kinck, alsacien comme lui, et à qui il fait miroiter une affaire imaginaire de fausse monnaie. Il a, pour cela, dit-il à Kinck, besoin de fonds pour payer l’achat des machines qui serviront à fabriquer les faux billets. Celui-ci, confiant, accepte, promet le financement et reçoit Troppmann chez lui au milieu des siens, le présentant comme son nouvel associé et ami. Tout va ensuite aller très vite. Le 25 août, Troppmann attire Jean Kinck, porteur de cinq mille cinq cent francs en chèque, dans un piège, aux environs de Guebwiller, en Alsace, se débarrasse de lui en lui faisant boire du vin mélangé à de l’acide prussique, et récupère l’argent dans les poches du cadavre avant de l’enterrer dans les ruines du château d’Herrefluth, non loin de là. Le lendemain, il tente d’encaisser le chèque à la poste de Guebwiller. En vain. Il retourne alors voir la famille Kinck et leur raconte que Jean, retenu à Paris pour affaires, l’a chargé de demander à Gustave, le fils aîné, de s’occuper de débloquer les fonds.

Le 16 septembre, Troppmann, installé depuis peu à Paris, à l’hôtel des Chemins de fer du Nord, chambre 24, sous le nom de Jean Kinck, reçoit un télégramme de Gustave l’avertissant qu’il n’a toujours pas pu récupérer la somme mais qu’il sera à Paris le lendemain pour rencontrer son père.

Que se passe t-il alors dans la tête de Troppmann ? Nul ne le saura jamais. En tout cas, le fait est, qu’à partir de ce moment, en proie à la panique, il va la perdre complètement. Le 17, il part chercher Gustave à la gare et l’entraîne à son hôtel. Là, il lui fait écrire une lettre à l’attention de sa mère, lui demandant de venir elle aussi avec ses autres enfants. Troppmann emmène alors le malheureux Gustave en omnibus à la Villette puis, à pied, à Pantin, où son père est censé l’attendre, tout au moins en esprit. Il le tue d’un coup de couteau dans le dos au beau milieu du champ Langlois et l’enterre prestement. Son corps ne sera retrouvé par hasard que le 26 septembre, six jours  après la découverte des premiers cadavres, alors que le terrain a été piétiné et visité par des milliers de promeneurs endimanchés. Troppmann reviendra alors sur sa première version accusant le père et le fils aîné, et s’inventera, pour s’adapter aux nouvelles circonstances, de prétendus complicités. Il parlera même d’un complot prussien, thèse qui sera reprise très sérieusement dans ses Mémoires par l’incorrigible Claude, et à laquelle de nombreux « experts », dans ce contexte particulier de rivalité guerrière franco-prussienne, ne manqueront pas d’apporter un certain crédit.

Le 19 septembre, dans la soirée, Mme Kinck, accompagnée de sa progéniture, débarque à Paris. Troppmann, a, auparavant, acheté une pelle et une pioche à la quincaillerie Bellanger, 209, rue de Flandre. La suite est connue.

 Le 28 décembre 1869, Troppmann comparaît devant les Assises de la Seine. Il neige, mais cela n’empêche pas la cohue des grands jours. Le tout Paris est réuni là, attendant des révélations nouvelles. Parmi eux, Alphonse Daudet, encore à ses débuts, Gustave Flaubert, Alexandre Dumas fils, et tout ce que la capitale compte de personnalités littéraires, de gens du monde et de dignitaires du régime. L’accusé est défendu par Me Lachaud. Cet excellent avocat, réputé pour son talent d’orateur, mettra toute son énergie, toute sa fougue, au service de cette cause désespérée et soutiendra, lui aussi, la thèse des complices. En effet, un adolescent de quinze ans, Frérin, a déclaré avoir vu trois hommes vétus de blouses blanches dans le champ de Langlois la nuit du crime. Son témoignage ne sera pourtant pas retenu.
Le 31 décembre, les jurés rendent leur verdict : Troppmann est condamné à mort. La délibération n’a duré que quelques minutes. Transféré de la Conciergerie à la prison de la Roquette, au quartier des condamnés à mort, il commence par protester contre la camisole de force qui lui a été passée. On craint, en effet, qu’il se suicide. Il a déjà tenté maintes démarches, infructueuses, pour obtenir du poison. Il est terrifié par la guillotine mais non par la mort. Naïvement, il exprime par écrit le vœu de visiter, à la Conciergerie, le cachot de Marie-Antoinette, « cette malreuse épouse de Louis 16 » , qu’il admire, et de «  monté à l ‘échafau le 21 janvié, le jour de la mort du plus innocen des roi ». Evidemment, cette requête lui est refusée.

 En attendant l’exécution prévue pour le 19 janvier, et depuis le rejet de son pourvoi en cassation, des groupes de fêtards s’installent place de la Roquette dans l’espoir d’assister le lendemain à la mise à mort du condamné. Les cabarets du quartier sont pris d’assaut. Dans la nuit du 18 au 19, la  fête bat son plein au milieu des lampions multicolores quand la foule voit arriver les éléments de la guillotine transportée par les aides bourreaux qui s’affairent bientôt à la monter sous les ordres de leur patron, Heidenreich. Dans une bousculade indescriptible, les gens commencent à prendre place le plus près possible du lieu d’exécution. Le directeur de la Roquette, lui non plus, n’est pas en reste. Il a ses propres invités, triés sur le volet. Il a même fait garder des places autour du couperet pour ses intimes. Enfin, au petit matin, solidement encadré, très pâle, Troppmann apparaît, avançant à petit pas vers « la veuve ». Il est jeté sans ménagement sur la bascule, mais, à peine a t-il passé la tête dans la lunette, qu’il se rejette en arrière avec une telle vigueur qu’on se demande s’il ne va pas réussir à s’échapper. Réflexe bien naturel de survie, mais qui agace l’exécuteur. Celui-ci empoigne le condamné par les cheveux, un autre lui attrape le menton. Troppmann réussit encore à mordre violemment le doigt de ce dernier. Sous les hurlements de la foule qui ne se contient plus, Heidenreich ferme la lunette autour de son cou. Le couperet s’abat. Justice est faite. Des enfants, perchés sur les arbres, sifflent et applaudissent au spectacle. L’un deux est déjà tombé durant la nuit et s’est cassé la colonne vertébrale. La foule, sans comprendre, a bien ri. Le garçon, transporté chez un marchand de vin de la rue de la Roquette, est finalement mort. Il est resté une bonne heure sur le trottoir avant que l’on daigne s’occuper de lui.

Escortée par deux gendarmes à cheval, la dépouille de Troppmann gagne le cimetière d’Ivry où elle est rapidement inhumée. La foule mettra des heures à se disperser, cherchant peut-être à profiter de ces derniers instants d’unanimité générale. Au loin, s’amoncellent déjà des nuages sombres et lourds de menaces. Bientôt, dans quelques mois, ce sera la défaite de Sedan, l’abdication de Napoléon III et la Commune de Paris.

4 novembre 2011

Le joli petit monstre (1676)

 La marquise de BRINVILLIERS 

1676

12, rue Charles V

Hôtel-Dieu

5, rue Hautefeuille (Hôtel des abbés de Fécamps) (6ème arrdt.)

4, Impasse Maubert (5ème arrdt.)

 

« Au début des temps, nous disent les Ecritures, Eve se laissa la première convaincre par le serpent. Elle prit la pomme et, par charme et séduction,  entreprit de persuader Adam de la partager avec elle. Celui-ci tenta de la raisonner mollement, pour le principe, puis, comme il était gourmand et pas très malin, il accepta. Depuis ce jour fatal, l’opinion s’est répandue que l’homme, en général, est une sorte de grand nigaud bourré de défauts, mais au fond, pas foncièrement mauvais, alors que la femme, alliée du démon depuis l’origine, a pour vice principal celui d’aimer corrompre son compagnon par ses propos venimeux. Après plus de deux mille ans à rabâcher les mêmes histoires, il n’est pas étonnant que l’image de la femme ait souffert de cette tenace réputation de perfidie. Aussi dans notre culture, si l’homme a des défauts, la femme apparaît éminemment corruptrice. Sa faiblesse physique la prédispose à la ruse, la dissimulation et le calcul. Cela fait d’elle une potentielle meurtrière par préméditation, qui accomplit ses crimes sous le masque de l’innocence, de l’amour et même parfois de la charité. La duplicité fait partie de sa nature.  C’est cela qui fascine dans les portraits de femmes criminelles. »

La douce marquise de Brinvilliers, le « joli petit monstre » qui amusait tant Mme de Sévigné est un parfait exemple de ce stéréotype de « la femme venimeuse » décrit ici par Alain Monestier. En assassinant son père, ses deux frères, sa sœur et nombre de malades de l’Hôtel-Dieu, la Brinvilliers horrifia ses contemporains. La découverte de ses activités marqua le début de l’affaire des Poisons.

 

Marie-Madeleine d’Aubray, marquise de Brinvilliers naît le 2 juillet 1630. Son père, Antoine Dreux d’Aubray est un haut magistrat austère et pointilleux sur le chapitre de la morale. Conseiller d’Etat, maître des requêtes, lieutenant civil de la ville de Paris, il est le premier officier de police de la capitale. Adolescente, la marquise est plutôt gracieuse, même assez jolie, avec de grands yeux bleus. Elle a une sœur et deux frères avec qui, dira t- elle à son procès, elle a des rapports incestueux - elle prétendra  avoir perdu sa virginité dès l’âge de sept ans. A l’âge de vingt-et-un an, elle épouse un jeune capitaine du régiment de Normandie. Issu d’une riche famille, Antoine Gobelin est ce qu’on appelle un honnête homme, sans grand caractère, mais il est dévoré par la passion du jeu. Très vite, la marquise délaissée collectionne les amants, et finit par s’éprendre d’un nommé Godin, soi-disant ancien officier de cavalerie mais surtout homme sans scrupule et dévoyé qui se fait pompeusement appeler Sainte-Croix - Son domicile, encore visible aujourd’hui, se situait dans la tourelle de l’hôtel des abbés de Fécamps, 5, rue Hautefeuille, dans le 6ème Arrdt. Naît alors un couple à trois. Cette situation semble satisfaire tout le monde sauf le père de l’épouse infidèle qui s’empresse, par lettre de cachet, de faire « embastiller » l’amant. Pendant son séjour au cachot, Sainte-Croix se lie d’amitié avec un détenu, un certain Eggidio Exili, qui a la réputation d’être « artiste en poison ». Il lui  soutire quelques formules, et six semaines plus tard, revient prendre sa place dans le lit de la marquise. Peu après sa libération, il fait également la connaissance  d’un chimiste suisse très réputé à l’époque, Christophe Glaser. Futur apothicaire attitré du roi et du duc d’Orléans, celui-ci donne alors devant un auditoire particulièrement attentif des cours publics au laboratoire du « Jardin des Plantes ». Ce n’est donc pas un plaisantin. On lui doit notamment la découverte du sulfate de potassium, du chlorure d’arsenic et la rédaction d’un volumineux Traité de la Chymie, considéré comme une référence dans l’histoire de cette science. Glaser s’est également penché sur la préparation  de poisons très élaborés. On prétend même que, vers 1655, il a été envoyé en Italie par le surintendant Fouquet pour en rapporter des végétaux très toxiques destinées à « l’accomplissement d’un grand dessein ».

 Élève assidu, Sainte-Croix, qui voue, depuis son incarcération une haine implacable au conseiller d’Aubray, profite pleinement des leçons de son maître. Dans le laboratoire qu’il vient d’installer 4, impasse d’Amboise* (impasse Maubert), Sainte-Croix se fait fort de se lancer dans la fabrication de divers remèdes et poisons dont il ne tarde pas à  faire son commerce. La clientèle, en effet, ne manque pas.

La marquise, pendant ce temps, s’est progressivement enfoncée dans la ruine et le déshonneur. Elle boit comme un trou, perd au jeu des sommes considérables et, poursuivie par les créanciers, se voit bientôt contrainte de vendre la plupart de ses propriétés. Prend alors forme dans son esprit l’idée criminelle la plus abominable qui soit : empoisonner son père afin de recueillir sa succession.

Mise « au parfum » par son amant, lui-même trop heureux de se venger, la marquise, en bonne élève, fait, de rapides progrès dans l’art de confectionner des produits toxiques. Elle n’hésite pas à mettre bientôt ses connaissances en pratique en expérimentant ses potions, d’abord sur des animaux, puis sur des malades de l’hôtel-Dieu. Plusieurs dizaines meurent ainsi dans des  souffrances atroces sans que personne, bizarrement, ne fasse le rapprochement avec les visites  de cette femme si charitable et si dévouée. Enfin prête, elle décide, à l’hiver 1665, de s’atteler méthodiquement à la tâche de faire passer son père de vie à trépas. Pour cela, elle engage un certain Gascon qu’elle place comme domestique auprès du marquis. Ce véritable tueur à gages sera chargé d’administrer au lieutenant civil, du poison en petites quantités pour que sa mort puisse paraître la plus naturelle possible. L’agonie du marquis d’Aubray durera sept mois. Au début du mois de septembre 1666, Antoine Dreux d’Aubray, au plus mal, est rapatrié d’urgence de son château d’Offémont, en Franche-Comté, à Paris. À son chevet, sa fille se montre particulièrement affectueuse et prévenante. Par la même occasion, elle lui administre le coup de grâce en mêlant du poison à son bouillon de viande. Le malade, pris de douleurs atroces et d’horribles vomissements, finit par rendre l’âme le 10 septembre, à l’age de soixante-six ans.

Ce produit « miracle » ayant fait ses preuves, la marquise, avec l’aide de son propre laquais nommé La Chaussée, supprime son frère aîné en 1670. Puis c’est le tour de son frère cadet sept mois plus tard. Jusque-là, elle a tué par intérêt ou par vengeance, elle se met à assassiner par plaisir, pour l’amour de l’art. Elle tente ensuite mais vainement d’empoisonner sa sœur, religieuse chez les Carmélites à Paris, puis sa fille qu’elle trouve idiote. Enfin, ayant décidé d’épouser Sainte-Croix, elle décide de se défaire de son mari. Malheureusement pour elle, Sainte-Croix s’est lié d’amitié avec le marquis de Brinvilliers dont il apprécie la complaisance. De plus, il n’a aucune envie de se lier avec une femme qu’il trouve de plus en plus dangereuse. Il s’empresse alors de désempoisonner le mari en lui administrant un contre-poison puissant qui le sauve in extremis. La marquise lui fait immédiatement ingurgiter une nouvelle potion mais Sainte-Croix le sauve de nouveau. Ce petit jeu va durer deux ans, pendant lesquels le pauvre marquis sera ainsi ballotté de poisons en contre-poisons. Craignant également pour sa vie, l’amant fait enfermer dans un coffret plusieurs lettres d’amour de la marquise, des fioles de poison et une lettre relatant par le détail tous les crimes qu’ils ont commis ensemble. On est jamais trop prudent.

Le 30 juillet 1672, alors qu’il travaille dans son laboratoire, Sainte-Croix s’effondre brusquement, probablement intoxiqué par les vapeurs mortelles qui émanent de ses préparations. Alertée, la police trouve l’infortuné amant, gisant sur le sol, on ne peut plus mort. Des scellés sont apposés et on met la main sur les fameuses lettres. Pourtant, quand les policiers débarquent au domicile de la marquise, 12, rue Charles-V, l’oiseau s’est déjà envolé vers l’Angleterre. Faute de mieux, on se rabat sur son valet, La Chaussée. Il est écartelé en place de Grève, le 24 mars 1673. Quant à la Brinvilliers, elle est condamnée à mort par contumace.

On la repère bientôt à Liège, où elle finit par être arrêtée trois ans plus tard par le lieutenant Desgrais, bras droit de La Reynie, dans le couvent où elle a trouvé refuge. À Paris, On l’enferme à la Conciergerie en attendant d’organiser son procès qui se déroule du 29 avril au 16 juillet 1676. Vingt-deux audiences présidées par Lamoignon, sont nécessaires pour entendre tous les témoins. Pendant les débats, de nombreuses personnalités de la Cour sont mises en cause, et un vent de panique se met à souffler dans la haute société parisienne. De discrètes pressions se font également sentir sur certains membres du tribunal, mais c’est sans compter sur l’insistance de Louis XIV qui est bien décidé à faire un exemple. La Brinvilliers paiera pour les autres.

Le 16 juillet 1676, la marquise est condamnée à avoir la tête tranchée - en sa qualité de noble - et à être brûlée en place de Grève. Ce qui sera fait dès le lendemain. L’affaire des Poisons ne fait que commencer.

 

*On empoisonne apparemment beaucoup au 4 impasse Maubert. Au milieu du 18ème siècle, on découvre à cette adresse les corps de trois femmes, mortes empoisonnées par les gaz de produits toxiques qu’elles fabriquaient et commercialisaient.

3 novembre 2011

Olympia Guilfort (1672)

Affaire des vingt-six têtes (Lady Olympia GUILFORT)  

1672

Rue des Orfèvres

Rue du Plat-d’Etain  

Jardin des Tuileries

Faubourg Saint-Antoine

 

Voici, pour commencer ce périple à travers l’histoire criminelle de Paris, une excellente entrée en matière. Il est question ici de disparitions mystérieuses et de crimes en série particulièrement abjects. Ils se situent à l’apogée du règne du Roi-Soleil, à un moment crucial de l’histoire de l’administration policière. C’est, en effet en 1667, deux ans après le scandale suscité par le meurtre sordide du Lieutenant Criminel de Paris Jacques Tardieu et de sa femme, perpétré à leur propre domicile par deux petits malfrats, que Louis XIV entreprend de restaurer la sécurité publique en créant le poste de Lieutenant Général, ancêtre du préfet de police.

Le tout premier d’entre eux et aussi le plus célèbre, Gabriel Nicolas de La Reynie est  en poste depuis cinq ans quand une série de faits étranges commence à retenir son attention : depuis quelques mois, de riches jeunes gens, tous issus de bonne famille, et dont les âges vont de dix-sept à vingt-cinq ans, se sont subitement volatilisés. On en compte déjà une vingtaine. Les Parisiens, terrorisés, se barricadent chez eux et n’osent plus s’aventurer dans les rues la nuit tombée. Les rumeurs les plus folles commencent à circuler. On parle d’une princesse qui prendrait des bains de sang en guise de cures de jouvence ; certains pensent à des pourvoyeurs de colons à destination des Amériques, et enfin, on soupçonne des juifs, dont les rites religieux passent pour exiger du sang chrétien. Des prêtres doivent même intervenir pour éviter des massacres. Le climat dans la capitale est tel que le roi, lui aussi, commence à s’en inquiéter. Il n’a pas réformé la police pour que Paris redevienne à nouveau le coupe-gorge qu’il était aux temps de Louis XIII et de la Fronde.

La Reynie met sans plus attendre ses indicateurs sur la piste des meurtriers. De la rue de la Grande-Truanderie à la rue Montorgueil, en passant par le quartier du faubourg Saint-Antoine, des auxiliaires déguisés en mendiants ou en voleurs s’introduisent dans les quartiers sombres et mal famés de la capitale. Des aubergistes sont interrogés, des prostituées sont suspectées. En vain. Cette première initiative est un fiasco.

Changeant de méthode,La Reynie charge alors son meilleur exempt, un certain Lecoq, de poursuivre l’enquête. Et celui-ci a une idée : il est persuadé que des embuscades « galantes » ont été tendues aux victimes car la plupart d’entre elles ont été vues pour la dernière fois dans des lieux de promenade à la mode. Il convainc alors son propre fils, Exupère, qui est plutôt joli garçon, de jouer le rôle de la chèvre dans la chasse aux lions. Déguisé en jeune bourgeois aisé, celui-ci ne tarde pas, au cours de ses déambulations quotidiennes dans  le jardin  des Tuileries, à attirer l’attention.

Quatre jours passent. Le cinquième, il croise dans le jardin des Tuileries, une jeune femme d’environ vingt-cinq ans suivie d’une gouvernante. Échange de regards, effets de dentelle… Elle le dévisage, lui sourit, mais ne se compromet pas, comme le veulent les bonnes manières, en lui adressant la parole. Le lendemain, alors qu’il est assis sur un banc, Exupère voit pourtant la gouvernante s’approcher. Rapidement, une conversation s’engage. Le jeune homme se présente d’abord comme le fils d’un riche gentilhomme périgourdin. Il est à Paris pour régler quelque affaire qui doit lui rapporter, dit-il, beaucoup d’argent. La vieille femme lui apprend que sa maîtresse est la fille d’une marchande de la rue Saint-Denis qui fut jadis engrossée par un comte polonais, le comte Jabirowski. Celui-ci avait fait le pari stupide de séduire la première femme qu’il rencontrerait en arrivant à Paris. Il avait ensuite appris la naissance de sa fille, et, revenu à de plus nobles sentiments, s’était décidé à partir sur le champ solliciter du roi de Pologne l’autorisation d’épouser la mère et d’adopter le bébé. Malheureusement, il n’arriva jamais à destination car il fut assassiné en route par des brigands. Le roi de Pologne, informé, fut ému par une si poignante histoire et déclara la petite fille héritière de tous les biens de son père. Entre-temps, la mère mourut et on recueillit l’enfant qui fut élevée dans l’ignorance de sa triste origine par les meilleurs précepteurs de Cracovie. À sa majorité, le roi lui-même lui révéla la vérité et la pauvre petite orpheline devenue riche comtesse polonaise émit le vœu de venir se recueillir sur la tombe de sa mère. Elle n’était à Paris que depuis six mois et avait choisi de rester.

Edifiante et romanesque histoire que n’aurait pas renié Alexandre Dumas mais qui laisse toutefois Exupère quelque peu sceptique. Flairant une piste, il accepte avec empressement la proposition de la servante de la rejoindre le soir même sous le porche central de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. De là, elle le conduira à sa maîtresse.

En effet, à minuit, la vieille femme, mystérieusement encapuchonnée, est au rendez-vous fixé. Elle lui fait signe de la suivre. Ils s’engagent alors dans un parcours compliqué à travers des ruelles sombres, ce qui a pour effet d’accroître progressivement la méfiance d’Exupère En effet, celui-ci a de plus en plus le sentiment que son guide cherche à lui faire perdre sa route. Heureusement, il a pu, dans l‘après-midi, prévenir son père et lui faire part de ses soupçons. Celui-ci, acommpagné de policiers, le file d’ailleurs à distance raisonnable lorsqu’il le voit s’engouffrer à la suite de la domestique dans une maison d’assez bel aspect situé rue des Orfèvres. Lecoq pressent le pire et ordonne à ses hommes d’encercler la batisse.

L’officier de police ne sait pas encore à quel point ses craintes sont justifiées. Car en réalité, la pseudo-princesse n’est autre que « Lady » Olympia Guilfort, une aventurière anglaise aux origines troubles qui a ses entrées dans la haute société parisienne et dont les crimes vont bientôt défrayer la chronique. Personne à cette époque ne se doute des activités monstrueuses de cette barbe-bleue au féminin. Personne aussi ne peut imaginer à quel trafic terrifiant elle se livre avec ses proies, qu’elle attire toujours, méthodiquement, de la même manière. Car la prétendue comtesse n’est pas sans charme. Et l’on peut lui reconnaître l’honnêteté de ne pas en avoir été avare dans la conduite de ses affaires : elle donne toujours la nuit d’amour qu’on attend d’elle avant de lâcher ses quatre tueurs. Elle dépouille ensuite les cadavres qu’elle revend discrètement et fort cher à des maîtres de dissection. Les têtes, quant à elle, bénéficient d’un traitement de faveur : elles sont tout d’abord embaumées puis conservées. Elles doivent plus tard prendre le chemin de l’Allemagne pour servir à des expériences anatomiques d’un type nouveau. En effet, certains médecins commencent à prétendre qu’il est possible de définir le caractère des êtres humains d’après l’aspect externe de leurs crânes. Ils jettent ainsi, avec plus d’un siècle d’avance, les bases de ce que l’on appellera la phrénologie.

Alors que Lecoq attend le signal convenu de son fils, celui-ci, quelque peu oublieux de sa mission, s’est  laissé séduire par la jolie comtesse qui lui prodigue, il est vrai, des soins très attentifs. Les tueurs embusqués dans une pièce voisine sont déjà prêts à passer à l’action. L’opération manque ainsi de tourner au drame pour Exupère qui ne doit son salut qu’à l’intervention in extremis de son père et de ses adjoints. Ceux-ci, après avoir enfoncé la porte d’entrée, se sont rués dans l’escalier et sont tombés nez à nez sur les bandits qui, l’instant de stupeur passé, se sont décidés à vendre chèrement leur peau. Une mêlée s’est engagée mais elle a rapidement tourné en faveur des policiers. Profitant de la confusion, Lady Guilfort a bien tenté de s’échapper par une porte dérobée mais s’est bêtement faite cueillir par un garde alors qu’elle atteignait déjà la rue. La maison a encore raisonné de quelques cris, quelques bruits sourds se sont encore fait entendre, puis plus rien.

La sombre équipe mise hors d’état de nuire, les lieux sont fouillés de fond en comble. Et, caché derrière un paravent, l’on découvre bientôt dans une profonde armoire vingt-six têtes reposant sur des plats en argent, parfaitement conservées et prêtes à l’emploi.

Lady Guilfort est promptement envoyée à la Bastille. Ses complices sont également emprisonnés, jugés puis pendus. Quant à la belle, elle réussira à s’évader de sa cellule grâce à la complicité de personnalités dela  Cour.

On la retrouve ensuite rue du Plat-d’Etain, où elle reconstitue une nouvelle bande, qu’elle consacre aux cambriolages, activité nettement plus discrète et moins risquée. Repérée, elle réussit de nouveau à s’enfuir. Mais par-delà la Manche, cette fois-ci. À partir de là, on perd sa trace, même si quelques chroniques rapportent l’apparition, dans la bonne société de Londres, d’une mystérieuse comtesse polonaise.

Au même moment, commencent également à courir, ça et là, de loin en loin, des rumeurs de disparitions inexpliquées. Étrangement, elles concernent toutes des jeunes gens de bonne famille…

 

 

31 octobre 2011

PARIS SUR CRIMES

« Les sociétés n’ont que les criminels qu’elles méritent ».

Alexandre LACASSAGNE             

 

Présentation

 

Les histoires présentées dans ce livre reprennent des affaires criminelles célèbres à des degrés divers, et représentatives de contextes historiques particuliers. Toutes se sont déroulées à Paris et dans ses proches environs. Qu’elles soient tombées dans l’oubli ou non, elles ont marqué leur temps d’une empreinte indélébile et ont joué un rôle non négligeable dans l’élaboration de notre mémoire collective. Pour les faire revivre, il fallait l’intervention d’un amoureux de la grande et petite histoire de Paris. Quelqu’un qui puisse raconter son exploration des recoins sombres de la capitale.

Auteur-compositeur de chansons, parolier et musicien, passionné par l’histoire de Paris, c’est en autodidacte que Laurent Sternbach s’est attelé à cette tâche fascinante de faire revivre ces histoires troubles enfouies sous les pavés des boulevards hausmanniens. Et elles sont nombreuses. Paris offre en effet une topographie criminelle assez remarquable. Pas un quartier qui n’ait connu son assassin. Pas une rue qui n’est été témoin d’un fait divers sanglant.  « Chaque pavé de notre bonne ville de Paris est rouge » nous apprend Dominique Kalifa, historien spécialiste de l’histoire du crime. 

 C’est donc un itinéraire particulièrement agité qui vous est proposé ici.

En amont de l’exposition sur l’imagerie criminelle qui en sera bientôt son corollaire, vous serez invités à ouvrir des tiroirs à double-fond, à entrouvrir des portes grinçantes, à coller votre œil aux judas, à fouiller dans les poubelles du passé pour tenter d’appréhender la mémoire refoulée de cette ville, dans ses profondeurs noires. De la marquise de Brinvilliers à Weidmann, de l’Ogresse de la Goutte d’Or au pâtissier monstrueux de la rue des Marmousets, de Troppmann à Emile Buisson, ils vous rappellerons que les histoires de crimes ne sont pas des histoires exotiques de fantômes auxquelles on croit sans y croire. On peut se voiler la face et tenter d’oublier ces histoires qui dérangent et qui sont souvent sources d’angoisses. Cachez ce sang… ! Elles sont pourtant inspirées de faits bien réels. Elles font parties de notre vie et continueront de nous hanter longtemps encore, bien après qu’elles se soient éloignées dans les coulisses du passé.

Encore une petite précision. Ce que vous allez lire et voir n’est pas toujours destiné aux âmes sensibles. Il vous faudra parfois avoir le cœur bien accroché. Apprenez aussi que l' éditeur ne prévoit ni brancard ni assistance psychologique. Vous serez seul. Mais si la tête vous tourne à la lecture de tous ces crimes, supplices et autres sombres histoires, sachez qu’il existe à Paris quantité de bancs publics et réverbères contre lesquels vous pourrez vous adosser le temps de reprendre vos esprits. Mais ne vous y attardez pas trop longtemps. Une mauvaise rencontre est si vite arrivée !

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